Après l’outil qui améliora la dextérité de l’homme, la machine qui amplifia sa force, voici les robots qui augmentent puis peuvent concurrencer nos capacités intellectuelles. Dans cette nouvelle ère, nous devons apprendre à maîtriser le vocabulaire des systèmes dits « intelligents », grand utilisateur d’oxymores, de néologismes ou d’anglicismes de circonstance : méthodes heuristiques, moteur d’inférence, réseaux bayésiens, « machine learning »…
Ce jargon hermétique n’aurait que peu d’impact s’il restait, à l’instar de la plupart des vocabulaires spécialisés, réservé aux experts du domaine. Mais il est désormais couramment utilisé par des « Monsieur Jourdain de la robotique » dans nombre de communications. A force de raccourcis, ceux-ci alimentent les confusions : les réseaux neuronaux sont-ils des cerveaux ? Le deep learning permet-il aux robots d’apprendre comme les hommes ? Les « chatbots » émotionnels vont-ils remplacer les interlocuteurs humains ? De cette sémantique complexe résulte une inquiétude, voire une défiance face aux robots.
Le terme « intelligence artificielle » (IA) illustre ces excès de langage. Censé définir la propension d’un robot à « penser », il a une tout autre réalité : il décrit en fait sa capacité à déduire par comparaison, référence et modélisation. Cette IA n’a de surhumain que le volume de données qu’elle peut traiter par seconde avec des algorithmes ad hoc. Elle est plus proche d’un singe savant très rapide et hypermnésique que d’un génie de silicium. Il lui manque une dimension d’intuition que Gerd Gigerenzer, dans son livre Gut Feelings : The Intelligence of the Unconscious, décrit comme l’essence de l’intelligence humaine.
Albert Einstein disait qu’un esprit intuitif est un don sacré et qu’un cerveau rationnel est un serviteur loyal. Il questionnait notre drôle de société qui honore et respecte le valet en oubliant le don… Pour ne pas retarder l’innovation technologique, ne commettons pas l’erreur d’en confondre les maîtres et les serviteurs.
Bruno Bonnell – @BrunoBonnellOff